J’adore le musée Cernuschi
Le musée Cernuschi est spécialisé dans l’art et l’archéologie de la Chine antique, du nom de son fondateur, ardent républicain italien. Banquier, économiste, journaliste et collectionneur d’art Henri Cernuschi, patriote italien, est l’un des trois héros qui, en 1848, libéra Milan de l’occupation autrichienne. Il fut élu député de l’éphémère République romaine (1848-49). A la chute de celle-ci, il se réfugie et s’établit en France en 1852. Il devient administrateur du Crédit mobilier, joue un rôle important dans le journal Le Siècle et risque sa vie pendant la Commune. Expulsé par Louis-Napoléon Bonaparte en raison de son engagement contre le plébiscite en 1869, il revient après la chute de l’Empire, en septembre 1870. Naturalisé français, il sera un des fondateurs de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Il voyage en Asie entre 1871 et 1873, en compagnie du critique d’art Théodore Duret. Il eut la brillante idée de se faire construire un hôtel particulier par William Bouwens van der Boijen en 1873-1874, à l’orée du parc Monceau, en 1871 pour y héberger ses trésors d’Extrême-Orient car son appartement était devenu alors trop exigu.
Il faut être fou pour ne pas aimer ce quartier de Paris ! Par ce soleil de septembre, cette courte voie Vélasquez, fermée à ses extrémités par de jolies grilles de Gabriel Davioud (1823-1881) lui donnant une touche de place Stanislas, est enchanteresse.
Sur la façade, les médaillons en mosaïque d’Aristote et de Léonard de Vinci admirés par Cernuschi, portant chacun une médaille en stuc de Saint Michel terrassant le dragon sont très en évidence. J’admire les fleurs épanouies ressemblant aux chrysanthèmes si chères aux Japonais, décorant les écoinçons.
Cernuschi, célibataire fastueux et raffiné, y donna des fêtes somptueuses, particulièrement les bals costumés dont il raffolait dont certains sont restés célèbres. On raconte qu’on y croisa Jeanne Hugo, Emile Zola en moine, tandis que le maître de maison était travesti comme il se doit, en samouraï..(2) Il a notamment donné le premier bal éclairé à l’électricité.
Le génie de l’architecte Bowers fut d’organiser la demeure autour d’une immense salle inspirée des portegos des palais vénitiens (1), s’ouvrant sur l’extérieur par une serlienne. Cette salle est dominée par un immense Bouddha Amida de bronze acquis par le maître de maison au Japon, dans les faubourgs d’Edo (Tokyo ).
Les larges fenêtres s’ouvraient sur un jardin arboré qui sera celui de Moïse Camondo. Ma boucle est bouclée : j’aime ces liens entre les choses que j’aime : la magnifique demeure de Camondo est un endroit que j’adore, que me fit découvrir la très cultivée MCL, il y a longtemps. La demeure des Camondo abrite une collection exceptionnelle de mobilier et d’objets d’art du xviiie siècle.(3)
De 1871 à 1873, il achète plus de 5000o œuvres d’art dont 1500 bronzes en Chine et au Japon qu’il léguera à la ville de Paris. L’hôtel particulier deviendra musée deux ans après son décès en 1896. La collection de Cernuschi ne cesse de s’ enrichir grâce à de nombreux dons et quelques acquisitions de bronzes, de mobilier funéraire, de terres cuites et de jades auxquelles s’ajoutent des collections d’art chinois contemporain.
Après avoir admiré les vases du premier hall,(4) je grimpe à l’étage afin de commencer par les collections permanentes. La balade s’étale de l’époque néolithique avec des céramiques en terre cuite puis en néphrite, pour se poursuivre avec toutes les dynasties des Shang au Qing.
Les tombes de l’époque des Han (206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C.) ont livré un grand nombre de figurines de suivantes (nüshi) chargées de servir l’âme sensitive (po) du mort dans son palais souterrain (dixia gongdian). J’ai beaucoup admiré ces figurines, type de statuettes, appelées mingqi, est souvent qualifié de substitut funéraire.
Cette tête d’un moine agé a retenu mon attention. Ahrat veut dire « bouddhiste qui a atteint le nirvana » . Elle a pu appartenir à une statue d’un des deux compagnons qui entouraient traditionnellement le bouddha Śākyamuni. L’expression à la fois sévère et sage est intriguante et rassurante, à la fois.
Tout m’a ravi et ce qui m’a littéralement emballée est l’époque des Tang.
Ces jeunes filles à cheval, vêtues d’un vêtement d’inspiration occidentale-huyi-, au visage bien rond, aux yeux marqués d’un simple trait, la bouche très petite sont un ravissement pour l’œil. Il semble que ce faciès soit encore celui des paysannes du Shaanxi, nous dit la plaquette du musée. Deux nattes sont remontées à la hauteur des tempes à la manière des garçons. Chacune d’elles a une expression différente, très aimable et gracieuse. Sept jouent d’un instrument, celui de la huitième est peut-être perdu. Les teintes de beige, orange, carmin et vert ajoutent de la beauté.
Les douze animaux calendaires correspondent aux heures de la journée. En effet, les Chinois ne comptaient que 12h dans une journée ( Je dois vivre dans cet espace-temps car mes jours me semblent de plus en plus courts..). En fait, une heure des Chinois était équivalente à deux heures occidentales, tout comme les années. Les shengxiao – littéralement « birth likeness »- sont régis par des cycles de 12 années et se succèdent ainsi : le rat, le bœuf, le tigre, le lièvre, le dragon, le serpent, le cheval, le mouton, le singe, le coq, le chien et le cochon. Ces notions étaient déjà connues des Han mais ce n’est qu’à partir des Sui et Tang que des représentations en sont faites et disposées dans les tombes. Le musée Cernushi en possède cinq : le tigre, le serpent, le singe et le coq. Sur ce cliché, nous voyions le tigre – qui a peu de ressemblance avec un tigre -, le serpent au cou gracile et le dragon que je trouve très beau.
Une visite magique.
Sources : Architecture de l’hôtel Cernuschi : hier et aujourd’hui de Gilles Béguin (1) Vivre à Venise au 12éme siècle (2) ce bal masqué aurait inspiré les premiers chapitres de Sopho de Daudet. (3) Site du musée Nissim de Camondo (4) RDV sur mon Pinterest
Photographies : PLK de Noétique – Musée Cernuschi