Tromelin.. j’ignorai où se situais cette île et tout de l’histoire de Barthélémy Castellan du Vernet.
Je suis une inconditionnelle d’Irène Frain.
J’aime son écriture, son style. Ses ouvrages m’apportent beaucoup grâce à ses multiples casquettes d’historienne, de journaliste, de romancière, d’enquêtrice obstinée parfois.
Après m’avoir emmené à la rencontre fantastique de Joseph Francis Rock au Tibet, elle me fait accoster sur un morceau de corail battu par les déferlantes incroyablement dangereux.
Les Naufragés de l’île Tromelin de Irène Frain
Ce livre a reçu le Grand prix de l’Académie de marine en 2010 et le Grand Prix Palatine du roman historique en 2009. Je considère ce livre comme un récit historique, une docu-fiction comme le classe Irène Frain car elle raconte l’histoire vraie d’un naufrage sur une île de l’océan Indien encore inconnue et très dangereuse du navire français l’Utile, la nuit du 31 juillet 1761, « un secret de famille vaste comme l’océan » dit-elle. Irène Frain a fait d’innombrables recherches, elle s’est appuyée sur les archives et les recherches de l’historien Max Guérout, pour nous faire vivre cette tragédie qui malheureusement fut vécue par des hommes et des femmes, des Noirs et des Blancs, à une époque où l’esclavage et la vente d’humains étaient en accord avec la loi. En effet, en plus des 142 membres d’équipage, la cale abritait dans des conditions totalement inhumaines, un lot de 160 esclaves- hommes, femmes et enfants – achetés à Madagascar que Lafargue comptait revendre pour assurer sa fortune, un acte clandestin, le gouverneur de l’île de France ( actuellement Maurice)Antoine Desforges-Boucher ayant interdit la traite des Noirs. Ethique le gouverneur ? Que nenni.. C’était pour rendre plus lucratif son odieux commerce. Honte à lui.
L’île de Tromelin.. l’apparence d’un paradis
Jean de Lafargue, capitaine totalement antipathique, despote, imbu et sans morale, entêté, va mener le navire à se fracasser sur les coraux d’une île totalement inhospitalière. 120 survivants parmi les membres d’équipage et 88 parmi les esclaves dont 28 décéderont par manque d’eau dans les 48 heures.
Des personnages des naufragés de l’île de Tromelin hauts en couleur
Joseph, le noir des Blancs, interprète est une figure intéressante et attachante. Dubuisson de Keraudic, écrivain de bord peu sympathique et lâche à qui on doit des informations grâce à son carnet de bord, l’Homme qui Tisse les Histoires, la forte jeune Semiavou.
On vit la peur de mourir de ces marins, de ses gens-qui-sont-là contre leur gré, considérés comme des moins-que-rien. On se demande ce que nous aurions fait dans cette situation dramatique.. On imagine ce qu’il se passe dans leur tête.. On tente d’imaginer leur vie, leurs espoirs, leurs accroches, leurs moyens de survie psychologiques et matériels..
Barthélémy Castellan du Vernet m’a captivée : beau, brillant, honnête, possédant un code d’honneur impressionnant, humain, meneur d’hommes, ingénieux, au sang-froid extraordinaire. Le lieutenant n’a qu’une idée en tête : sauver tous ces hommes. Il est d’une ingéniosité inouïe, il parvient à creuser à force d’efforts titanesques à construire un puit avec l’aide du maître canonnier Louis Taillefer, une forge, deux campements – un pour l’équipage et un pour les esclaves-, faire régner un semblant de paix, construire une prame.. Je me dis que L’utile porte bien son nom car il sera la source des matériaux. Il coordonne, il rassure, il inspire confiance, il encourage ..On souffre avec lui, on est torturé comme lui et avec lui, on essaie de prendre une partie de son chagrin. On est très ému par le rapprochement entre Blancs et Noirs qui s’unissent dans l’effort et l’exploit de construire ce bateau. On est ému de la prise de conscience de ces hommes frustres mais tellement hommes, que Noirs et Blancs sont identiques, de suivre la fraternité s’installer que la couleur n’a rien à voir dans l’humanité. Il force l’admiration.
Cinquante-sept jours après le naufrage, 122 hommes embarquent sur la prame baptisée la Providence et seront sauvés. 122 ? Oui que 122.
Les soixante Malgaches vont rester sur l’île.. Castellan, le Blanc-aux-yeux-couleur-de-pluie comme le surnomme les Noirs, va alors vivre un véritable calvaire psychologique, un cas de conscience brûlant – qui d’ailleurs le consommera. On suit sa souffrance, on la vit. Je ne peux m’empêcher de crier : Pourquoi ne pas avoir embarqué en priorité les personnes qui ont construit le bateau au lieu d’abandonner les soixante esclaves qui librement, furent volontaires à travailler à la construction du bateau pour des Blancs ayant refusé le moindres efforts ? Castellan a promis de revenir les chercher, leur a laissé trois mois de vivres, le feu(1). Mais..
Un livre qui donne la chair de poule face au passé de négrier de la France. Sans dévoiler la fin, quinze ans plus tard le Breton Tromelin commandant la corvette La Dauphine, très obstiné, récupère sur l’île les derniers survivants, sept femmes et un bébé. Ils seront recueillis par l’intendant des Isles de France et Bourbon, Jacques Maillard Du Mesle qui les affranchira et baptisera l’enfant Moïse. Qu’ont -ils vécu ? Comment ont-ils survécu dans cet enfer marin ? Que sont-ils devenus ensuite ? Ont-ils des descendants ? J’ai fort envie de lire le livre de Madeleine Thareau Un amour à Tromelin qui relate les souvenirs des sept femmes survivantes, dont Semiavou, sa mère et Hériniaina et font revivre certains de leurs cinquante-trois compagnons, se remémorent faits et gestes des presque quinze années écoulées, tout en protégeant le bébé de sept mois. Irène Frain n’ayant pas choisi cette approche.
Le chevalier de Tromelin est le premier à décrire précisément l’île qui porte désormais son nom.
Lorsque je repose le livre, j’ai honte de ce que mes ancêtres, peut-être, ont fait. Asservir sans scrupules, d’autres hommes. Et en même temps, je suis fière d’appartenir à cette espèce d’hommes comme Castellan ou Tromelin, comme ces esclaves qui malgré l’horreur que d’autres leur font vivre, ont gardé leur humanité.
L’histoire des naufragés de Tromelin sera citée par Condorcet dans De l’esclavage des Noirs, ce qui aboutira au décret de l’abolition de l’esclavage votée le 4 février 1794 par la Convention, selon lequel « les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens Français et jouiront de tous les droits assurés par la constitution ».
Ce livre est à lire car tous ces hommes méritent le souvenir.
(1) Il sera encore allumé lors de leur sauvetage , quinze ans plus tard., entretenu par les survivantes, par tous les périls.
Pour en savoir plus : Les naufragés de Tromelin – Tromelin, naufrage de “l’Utile” (1761) – retour de la troisième mission archéologique… – Tromelin 2013 : le journal quotidien des fouilles archéologiques
Photographies : île de Tromelin – Récipient en cuivre réparé à 9 reprises par les naufragés. Crédit photo : Max Guérout – Dessin de source inconnue
un livre témoignage qui me tente bien, merci d’avoir rejoint la communauté Livres Ô blog et merci pour le partage de ce très bel article
Merci à toi d’avoir créé cette communauté. Ce livre est très prenant. j’aime beaucoup ce style d’ouvrages. bonne soirée. PLK