J’ai toujours le goût à me repasser le film d’un passé que j’ai aimé, qui m’a nourri, à distance, afin de le savourer à nouveau. Ceci expliquant cela : mes chroniques sont souvent à distance du vécu. Je suis allée visiter cette exposition, le 19 septembre, le premier jour et de ce fait, interdiction de prendre des photographies. Un avantage ? Je le pense.
Nature et Japon
Les représentations de la nature (fleurs, oiseaux, paysages) ne sont pas dans la culture japonaise de simples motifs de décoration, mais sont toujours associées à une symbolique établie par les poètes depuis le VIIIe siècle. Les plus grands noms de la peinture japonaise se côtoient : Ike no Taiga (1723-1776), Tani Bunchō (1763-1840), Maruyama Ōkyo (1733-1795), Sakai Hōitsu (1761-1828).
Selon la tradition japonaise, chaque élément visuel – animal, végétal,- sonore – tel un cri – ou olfactif, est lié à une saison ou à un mois de l’année. Le printemps et l’automne, marqués par leur couleur et leur douceur, étaient les saisons préférées des artistes.
Ainsi est né le terme de kigo, sorte de « mot de saison ». Pour le kigo, chaque saison est divisée en trois périodes (début, milieu, fin). L’intérêt du kigo est de pouvoir évoquer tout un univers en un seul mot. Il est très utilisé dans le haïku, d’ailleurs la plupart des haïkus contemporains suivent toujours la tradition et comportent donc un kigo. Par exemple, le printemps est évoqué immédiatement par fleurs de cerisiers sakura, grenouilles kawazu, hirondelle tsubame, rossignol uguisu, gazouillements saezuri. Evoquer l’automne ? Poire nashi nashi, pomme ringo, feuilles qui changent de couleur usumomiji, feuilles qui commencent à tomber momiji katsu chiru, le criquet kōrogi, la lune tsuki..
Un haïku d’automne ? Souvenons-nous qu’un haïku est sensé se dire à voix haute en un seul souffle.
Couchant d’automne
La solitude aussi
Est une joie
Yosa Buson- 1716– 25 décembre 1783
Dès le Xéme siècle, apparaît la «peinture des saisons» shiki-e, «peinture des 12 mois ou des fêtes mensuelles» tsukinami-e et «peinture de sites célèbres» meisho-e – qui représentaient des paysages en une saison donnée. Au XIIIe siècle, les coloris vifs sont remplacés par des encres. LeXVI éme siècle est marqué par la symbolique des animaux tels que la grue ou les rapaces.
L’exposition le Japon au fil des saisons du musée Cernushi
Elle suit le sens des courants
♥ Le courant Nanga appelé aussi « Bunjinga- peinture des lettrés »
Ces artistes partagent tous une admiration pour la culture traditionnelle chinoise de l’époque Ming. Leurs peintures, souvent en noir et blanc, à l’encre noire, et presque toujours représentant des paysages
Tani Bunchô (1763-1840), « Le Mont Fuji». Peinture en largeur (yokomono) montée en rouleau (kakemono), encre sur papier
Bambous dans la tourmente de Ike no Taoga 1723-1776
♥ L’école Maruyama Shijō,
Le style est marqué par un réalisme influencé par l’Occident mais la réalisation suit les techniques traditionnelles de la peinture japonaise. La représentation exacte du sujet est moins importante, que l’expression de l’« esprit intérieur ». Les motifs les plus couramment représentés sont les paysages tranquilles, Kacho (oiseau et fleur), les animaux.
Paon et Pivoines de Maruyama Ökyo
♥ Le courant Rinpa caractérisé par l’usage de matières précieuses, lavis d’or, perles et pigments minéraux aux riches couleurs
J’ai admiré la très rare série des 12 peintures des Fleurs et oiseaux, des 12 mois de Sakai Hoitsu, qui font référence à 24 poèmes de Fujiwara no Teika (1162-1242)
Beaucoup de merveilles pour se régaler les yeux et le cœur. J’ai beaucoup aimé « Trois mejiro sur un arbre à kakis», si délicats.
♥ Le courant Nihonga,
Ce courant rassemblent toutes les peintures qui ont été faites en conformité avec les conventions artistiques traditionnelles japonaises,techniques et matériaux. Bien que basé sur les traditions de plus de mille ans, le terme a été inventé dans la période Meiji du Japon impérial, pour distinguer ces œuvres de peintures de style occidental.
Ce kakémono Lune dans les nuages est extraordinaire : elle émerge des nuages, dans une clarté créée en lavis d’or, bleu, jaune, gris, exprimant le mouvement, la transformation. Les corètes des brocards supérieur et inférieur font partie de l’oeuvre. Prêles et libellules m’évoque la légèreté, la fragilité, la transparence.
Je remercie les heureux propriétaires de ces œuvres Mrs Betsy and Dr. Robert Feinberg dont le généreux prêt nous permet de découvrir la peinture japonaises du 18 et 19 éme siècles.
L’exposition Le Japon aux fil des saisons ferme ses portes le 11 janvier 2015.
Un joli présent à se faire : Un pur moment de beauté, hors du temps.
Photographies : PLK d’après le livre Le Japon au fil des saisons du Musée Cernushi- Pour en voir plus et de très belle qualité : blog Alain R.Truong