Ce livre m’a tendu ses pages car je ne suis pas très au fait de ce qui s’est passé à Maritzburg et faire plus ample connaissance avec le Gandhi d’Afrique du Sud m’attire. Et très certainement que tout a commencé à Maritzburg.
Gandhi, le renommé
Tout le monde connait Gandhi. Mais qui était vraiment Mohandas Karamchand Gandhi ? On le connaît pratiquant de la non-violence, pour avoir fait fléchir la grande Angleterre, on sait que sa méthodes était la désobéissance civile et sa grande oeuvre, la lutte contre la discrimination.
Je connais mal Gilbert Sinoué car je suis une fidèle à Christian Jacq et n’ai rien lu de lui à cause de mon inclinaison exclusive. Ce livre m’a tendu les bras, le personnage de Gandhi est passionnant et je souhaitais connaitre mieux celui que Winston Churchill appelait « le fakir à demi-nu », plus que ce petit homme chétif, aux lunettes rondes, se baladant en pagne et mon aphorisme préféré « Sois le changement que tu veux voir dans le monde. ». Une autre motivation était liée à un commentaire acerbe d’une de mes amies, sur son comportement vis-à-vis sa femme.
La nuit de Maritzburg de Gilbert Sinoué
La force de ce roman – est-ce une biographie ? – est de donner la parole à Hermann Kallenbach, architecte allemand d’origine juive. Il dirige un cabinet fleurissant et prospère. Epicurien, il rencontre le jeune Gandhi en 1904, dans un restaurant végétarien. Habitué au luxe, aimant la belle vie, les belles voitures, les beaux costumes, dont certaines des réalisations sont au patrimoine de Johannesburg, il succombe à ce bel esprit et à ses idées.
Le Mahatma Gandhi né d’une humiliation.
Bien né d’une famille aisée, après ses études de droit en Angleterre, il eut des difficultés à créer son cabinet d’avocat en Inde. Il va le faire en Afrique du Sud, en 1883 pour Dada Abdulla un commerçant de Durban. Dandy à guêtres, un jour qu’il voyage pour se rendre à Pretoria, un homme blanc, choqué de voir un homme de couleur dans cette classe, demande à ce qu’il en soit chassé. Mohandas refuse de se rendre dans le compartiment de fin de train, ayant un billet de première classe. Il est alors molesté, jeté hors du train à Pietermaritzburg (Maritzburg), humilié, dans le froid de cette gare perdue, confronté dans ce qu’il y a de plus vil, la discrimination et ségrégation raciale, l’injustice, la violence gratuite. Son destin bascule.
J’ai découvert un homme dur, très dur avec lui-même et les siens. On pourrait même dire qu’il est d’une dureté effroyable avec ses certitudes, avec ses enfants, son épouse. Il est convaincu de détenir la vérité en tout. Même en médecine, il est sûr de ses convictions et risque la vie de son fils en refusant les traitements. D’aucuns disent qu’il est responsable de la mort de son épouse Kastürbā qui mourut d’une bronchite parce qu’il rejeta l’injection de pénicilline qui aurait combattu l’infection. « Si j’avais permis la pénicilline, dira- t-il après la crémation, cela ne l’aurait pas sauvée. Et elle s’est éteinte sur mes genoux. Est-ce que cela pouvait être mieux ? »(1)
Il prononça un Brahmacharya, un vœu d’abstinence sexuelle en 1906 et l’imposa à tous à Phoenix. Il interdit aux couples mariés d’avoir des relations sexuelles «pour le bien de leur âme». Avec un certain masochisme, son idée était de se mettre à l’épreuve de son appétit libidinal. Il oblige les jeunes gens de l’ashram à se baigner tous nus pour tester leur résistance. Ce qu’il s’impose aussi : il dormira nu, avec sa petite-nièce Manu tout juste âgée de 18 ans et même son médecin.(2)
Le 22 février 1909, ils décident d’adopter des surnoms dont ils signeront leurs lettres : » chambre basse » pour Hermann tandis que lui sera sa « chambre haute » sur le modèle des chambres du Parlement anglais.
La question de savoir s’ils ont eu une liaison amoureuse, n’a aucune importance à mon sens. Ils dorment ensemble, certes, se disaient qu’ils s’aiment, sont inséparables. Lorsqu’ Hermann part en Allemagne visiter sa famille, Gandhi établit un contrat dont la clause 2 est de ne pas s’engager maritalement, la 3 qu’il ne regardera aucune femme de manière lubrique. Hermann signe cet engagement (cependant, il transgressera la 3..). Il est sous son emprise. Ils sont dans une relation de guru à disciple, Hermann fut transformé pour ainsi dire transfiguré par cette amitié extraordinaire et fusionnelle, d’une rare intensité.
J’ai appris qu’il avait une grande admiration pour Léon Tolstoï – qu’à l’occasion je vais relire – qui lui a inspiré certains préceptes de non-violence et pour David Thoreau que j’ai relu l’été dernier.
Ce que je dis du Gandhi de Sinoué
Ce livre, je l’ai lu avec passion lorsque nous étions en Jordanie. J’ai aussi appris sa tentative de correspondance avec Adolf Hitler- adressées à « mon ami »- en vue de persuader le dictateur de l’Allemagne de la valeur de la non-violence. Ni la première lettre datée du 23 juillet 1939, ni la seconde du 24 décembre 1940, n’ont atteint son destinataire en raison d’une intervention par le gouvernement britannique (2). Sans aucun doute, il s’opposait au nazisme, farouchement. « Si je vous appelle ami, ce n’est pas du formalisme. Je n’ai pas d’ennemis. Depuis 33 ans l’œuvre de ma vie a été de m’assurer l’amitié de toute l’humanité, sans distinction de race, de couleur ou de croyance ». On peut se prendre à rêver de ce qu’il serait arrivé si le dictateur avait reçu ces missives. Un vaste sujet d’uchronie..(4)
Gandhi fut un homme providentiel, malgré ce caractère narcissique et tyrannique, il est admirable. J’ai eu grand plaisir à lire Sinoué et découvrir la part d’ombre de Gandhi. J’ai aussi beaucoup aimé faire la connaissance de l’attachant Hermann et suivre ses interrogations et ses errements. La jeune cousine Sonia qui sera secrétaire de Gandhi est très pertinente, j’ai eu aussi une grande envie de la connaitre.
Je ne sors pas indemne de cette lecture. Beaucoup de pistes de réflexions s’offrent à moi.
Je vous recommande sans crainte La nuit de Maritzburg de Gilbert Sinoué
(1) Catherine Clément, Gandhi, athlète de la liberté, Découvertes Gallimard, Gallimard, 1989. (2) Nehru racontera qu’il lui fit la remarque face à cet étrange comportement en ajoutant que cela faisait jaser et Gandhi répondit : » Je me teste « .Il avait 73 ans. (3) le gardian (4) Extrait de son livre » Ma non-violence » : les Juifs en Palestine