Cela fait quelques semaines qu’écrire une chronique sur Fitzgerald est sur ma to-do-list.
Ce 24 septembre est parfait car le romancier aurait 117 ans aujourd’hui – il est né en 1896 à Saint Paul dans le Minnesota– et il y a exactement cent ans, il entrait à Princeton, le 24 Septembre 1913. (1) Il quitta la prestigieuse maison sans diplôme mais avec du « matériel » pour ses deux romans: The Egoist Romantic et This Side of Paradise, selon John Peale, son grand ami (2). Le département des livres rares et des collections spéciales de l’Université de Princeton nous offre à cette occasion, le plaisir de découvrir deux pages originales manuscrites d’une première mouture de The Great Gatsby accolées à une lettre adressée à la romancière Willa Carther. Sa fille, Scottie Fitzgerald Lanahan, avait légué à l’université, tous les manuscrits originaux qui ont été numérisés (3). Nous pouvons consulter entre autre et gratuitement sur le site, Trimalchio–titre de travail de Gatsby.
Fitzgerald se comparait lui-même à « une assiette fêlée, du genre de celle dont on se demande si ça vaut la peine de la garder.».
Piètre opinion de soi de ce jeune homme terriblement macho et incontestablement séduisant dont l’envoyé du «New York Tribune» en 1920, écrira « Après avoir rencontré M. Fitzgerald, nous n’inclinons pas vraiment à renoncer à l’impression qu’il s’agit d’un jeune homme plutôt suffisant, quelque peu prétentieux et tout à fait imbu de lui-même.»
Pourtant, il commence à écrire à 13 ans dans la revue de son école. Son premier roman à succès est The Side of Paradise, en 1920, à 24 ans. La belle vie commence..
Scott Fitzgerald, icône des années 1920
Son tempérament irlandais, son attirance irrésistible pour le glamour ont fait qu’il incarne la vie facile, le succès, la beauté, l’argent qui coule à flot -parfois moins-, la haute société richissime, les fêtes, le jazz, le champagne, les jolies filles, l’alcool.. trop d’alcool. Il brûlait sa vie par les deux bouts. Il aspirait à devenir le meilleur écrivain de sa génération.
Zelda et Scott
Nous connaissons tous bien sa vie extravagante et mouvementée avec sa femme Zelda Sayre qu’il épouse en 1920. Ils auront une fille Frances Scottie Fitzgerard, le 26 octobre 1921.
Ce couple fusionnel fut l’emblème de la génération perdue. Son amour qu’il surnommait la « première garçonne » internée entre deux séjours fastueux au Ritz, au Waldorf, à l’hôtel de la Paix. ..souffre de ce que nous appelons aujourd’hui de « troubles bipolaires ». Durant dix ans, ils sillonneront le monde ! Angleterre, Suisse, côte d’Azur, Antibes, Paris, Italie.. Il boit beaucoup.. Il pontifiait : « Quand je suis à jeun, je ne peux pas supporter le monde, quand j’ai bu, c’est le monde qui ne plus me supporter».
Zelda sera internée définitivement en 1936, elle mourra le 10 mars 1948, dans l’incendie de l’établissement psychiatrique où elle était hospitalisée, enfermée dans la salle d’électrochoc où elle attendait le soin.
Quant à lui, dès 1935, il sombre dans la dépression et ne peut plus écrire. « Je ne peux pas écrire, je ne peux pas écrire, je ne peux pas écrire » écrit-il à son éditeur.
Ernest Hemingway et Fitzgerald
Son compagnon de beuverie à Paris, sera Ernest Miller Hemingway qu’il moquait en affirmant qu’il tenait beaucoup moins bien l’alcool que lui… Leurs relations seront ambiguës: Dans la Fêlure, sorte d’autobiographie, Fitzgerald écrit: « Ernest est aussi démoli que moi, mais il ne le manifeste pas de la même façon. Sa nature le pousse à la mégalomanie, et la mienne à la mélancolie » et « Je n’écris plus. Ernest a rendu tout ce que j’écris inutile », « Je parle avec l’autorité de l’échec, Ernest avec l’autorité du succès. Nous ne pouvons plus nous asseoir à la même table. ».(5)
L’image mondaine de Scott Fitzgerald et de sa vie qui ressemble à une descente aux enfers, cachent son autre facette : il se ruina la santé, aussi, pour subvenir aux besoins de sa famille – il veilla à ce que Zelda ait les meilleurs soins- , grâce à ses nouvelles qu’il vendait dans les journaux. «Il fallait continuer à être écrivain, puisque c’était ma seule façon de vivre.» Lui qui eut une vie flamboyante, mourra seul… Travaillant à Hollywood, terrassé par une crise cardiaque le 21 décembre 1940, il ne terminera pas le Dernier Nabab. Mais ce roman inachevé demeure son œuvre la plus accomplie.
Les Fitzgerald ne furent pas les parents idéaux pour Frances. Il veilla à ce qu’elle ait le meilleur mais très certainement que le rythme qu’ils lui imposèrent fut difficile. Merveilleux épistolaire, il lui écrivait. En 1933, alors qu’elle a 11 ans et est dans camp de vacances, il s’enquière de ses lectures en français et lui dit qu’il est heureux de la savoir heureuse même si lui ne croit pas au bonheur qui n’arrive que sur les écrans ou dans les livres.. Puis, il lui livre quelques enseignements, triés en deux catégories – les choses dont il faut se soucier et celles dont il n’est au contraire pas nécessaire de se soucier :
« Les choses dont il faut te préoccuper :
Préoccupe-toi du courage
Préoccupe-toi de la propreté
Préoccupe-toi de l’efficacité
Préoccupe-toi de l’équitation
Préoccupe-toi…»
Pour Fitzgerald, la liste des choses qui n’ont pas d’importance est bien plus longue :
« Les choses dont il ne faut pas se soucier :
Ne te soucie pas de l’opinion publique
Ne te soucie pas des poupées
Ne te soucie pas du passé
Ne te soucie pas du futur
Ne te soucie pas de grandir
Ne te soucie pas de te faire dépasser par qui que ce soit
Ne te soucie pas de la gloire
Ne te soucie pas des mouches
Ne te soucie pas des moustiques
Ne te soucie pas des échecs sauf si tu en es responsable
Ne te soucie pas des insectes en général
Ne te soucie pas des parents
Ne te soucie pas des garçons
Ne te soucie pas des déceptions
Ne te soucie pas des plaisirs
Ne te soucie pas des satisfactions. »
Un bien joli programme presque aussi digne que la lettre de Kipling.
Fitzgerald, talentueux romancier mais aussi, grand auteur de nouvelles
Les nouvelles ! Une de mes faiblesses. Je suis férue de nouvelles. J’aime ce genre littéraire que Science Fiction and Fantasy Writers of America définit ainsi : l’histoire courte –short story- compte moins de 7 500 mots, la novelette comprend les histoires entre 7 500 et 17 499 mots, et la novella, presque un roman, comprend les histoires entre 17 500 et 40 000 mots.(6) Soit ! Edgar Allan Poe, Boris Vian, Katherine Mansfield, William Somerset Maugham, Anton Tchekhov, Eric –Emmanuel Schmitt, Fiona Kidman. Pour n’en citer que quelques-uns parmi mes favoris. Presque tous les auteurs de talents se sont essayés à ce genre. Quel plaisir de lire ces recueils.
Cet été, au pays du soleil levant, j’ai dégusté et savouré
«Tous les jeunes gens tristes» de Fitzgerald.
Quelques semaines après la sortie de Gatsby le magnifique, en 1925, F. Scott Fitzgerald rassemble les neuf nouvelles qui constitueront ce recueil. L’excellent moment passé avec le film Gatsby est très certainement lié à l’achat coup de cœur de ce livre. Ces nouvelles sont toutes surprenantes, riches en portraits d’hommes et de femmes qui sont en prises avec des sentiments si forts qu’ils deviennent des êtres exceptionnels. J’ai adoré « le réconciliateur », « le bon samaritain »…Écorché vif, il sait dépeindre les sentiments, les émotions d’autrui à merveille.
Je viens de m’offrir son oeuvre, dans la prestigieuse collection la Pléiade, sous la direction de Philippe Jaworski. Gallimard a en effet publié l’intégralité des œuvres de F.S.F. respectant les choix éditoriaux de Fitzgerald, le 20 septembre 2012. Une belle consécration : être couché sur papier bible ! Cette prestigieuse édition peut paraître le saint des saints, un brin poussiéreuse et par trop classique et ne pas convenir à Fitzgerald, le sulfureux. Que nenni ! Ce qui me plait, c’est de pouvoir m’imprégner de son génie, de son univers, sans m’éparpiller. Toute son œuvre en un volume ! 3440 pages en 8 centimètres, un concentré de plaisir.
Revenons à ses nouvelles ! Il en a écrit 160, parues dans des magazines ou dans les quatre recueils parus de son vivant. Certes, elles lui ont permis de vivre en lui rapportant l’argent dont il avait tant besoin. Il a été dit que leur écriture était bâclée, qu’il les écrivait à la va-vite ! «Chacune de mes nouvelles est conçue comme un roman. Chacune fait appel à une émotion particulière, et mes lecteurs doivent toujours s’attendre à quelque chose de nouveau, dans le fond sinon dans la forme.» dira-t-il. D’ailleurs, dans certaines nouvelles pointaient une idée de roman. Tout le monde a remarqué à la lecture de « Winter Dream » parue dans le Metropolitan magazine en 1922 et publiée dans le recueil « Tous les jeunes gens tristes » en 1926, l’ ébauche de « Gatsby », Dexter sera Jay et Judy Jones, Daisy.
Philippe Labro a dit que Fitzgerald était le Mozart du roman. J’acquiesce avec empressement.
Sources: (1) source (2)Fitzgerald at Princeton by John Peale Bishop, grand ami de F.S.Fitzgerald, poète.(3) Site de Princeton– manuscrit (4) p 484 dans La Fêlure, émouvante confession d’un écrivain fatigué et amer qui se bat avec sa dépression.(5) La Félure p 35 (6) source