Les voix aiguës masculines sont très en vogue actuellement. Que cet opéra baroque soit ressorti des oubliettes, répond à cet engouement. Je suis aussi une fan de Philippe Jaroussky, des contre ténors et de la musique baroque. Je ne pouvais pas manquer cet opéra séria de Leonardo Vinci, avec cinq contre ténors.
Artaserse, Opéra en trois actes, sur un livret de Pietro Metastasio
Sa première eut lieu à Venice en 1730, avec Carlo Broschi, dit Farinelli, dans le rôle d’Arbace. Ah ! Farinelli. Mon castrat favori.
Une ordonnance papale interdisant aux femmes de se produire sur les scènes romaines jusqu’en 1798, tous les rôles féminins furent composés et interprétés par des castrats. Aujourd’hui, plus de castrats.. C’est heureux !
Artaserse, tous les ingrédients d’une tragédie réunis
L’histoire se passe en Perse : le roi Xerxès – Artaserse est le nom italien d’un roi de Perse,- vient d’être assassiné par Artaban, préfet de la garde royale qui cherche ensuite à éliminer son fils Artaserse (Artaxerxès) pour placer le sien, Arbace, sur le trône. Arbace est l’ami fidèle d’Artaserse et l’amant de sa sœur Mandane. Artaserse aime d’amour Semira, la sœur d’Arbace. Artaban marie sa fille Semira à Mégabyse, général des armées et son confident…L’intrigue est très alambiquée. Je vous rassure tout finira bien.
Pourquoi ai-je adoré Artaserse ?
Les voix sont étonnantes et flamboyantes, le jeu des chanteurs est si expressif, les costumes sont somptueux et si extravagants.
Du vrai baroque : de l’or- il en pleut même- des plumes, des strass, des miroirs, des éclairages éclatants, des tableaux baroques en noir et blanc qui coulissent. Nous en avons eu plein la vue !
J’ai abordé ce spectacle sans idée préconçue et ce n’est pas Philippe Jaroussky qui retint mon attention.
J’ai adoré Ataban/Juan Sancho, l’unique rôle de ténor de la distribution, et son jeu parfait en assassin de Xerxès et père indigne d’Arbace et de Semira, ami et traitre d’Artaserse. Son costume du premier acte est ahurissant. Le duo avec Arbace au deuxième acte est époustouflant, le texte est tragique et beau.
Le mariage de Semira/Valer Barna-Sabadus et de Megabyse est un grand moment de théâtre. Semira nous offre un moment d’émotion où nous sentons son dégout, son refus, sa peine.. et Artaban qui déclame « .. aime-le et même si ton regard ne le trouve pas aimable, respecte au moins la main qui te le donne et tais-toi ! »
Le texte d’Arbace/Franco Fagioli à la fin du premier acte est d’une grande beauté, la voix toute en nuances: Il est capable de varier dans le grave et tout de suite après de s’envoler vers les aigus.. étonnant.
« Je navigue sur une mer cruelle, Sans voiles et sans cordages;
L’onde frémit, le ciel s’assombrit.. «
Quel beau texte exprimant métaphoriquement sa douleur.
Le duo Mardane/Max Emanuel Cencic et Semira est aussi magnifique : les couleurs de leurs robes et celles des lumières ajoutent à l’ambiance tragique de la délicatesse et de l’intimité. J’ai un inclinaison pour Semira. Ce rôle de composition est assuré avec grand talent, beaucoup d’émotions.
Les décors sont audacieux et cette façon d’intégrer un théâtre dans le théâtre nous laissant tout voir: les maquillages, les changements de costumes, les machinistes, l’éclairagiste..- est assez intéressante.
J’aime cette vision de ce qui nous est normalement caché. Cependant, à la fin du premier acte, la valse d’hésitations d’Arbace qui semble souhaiter vite en finir et les accessoiristes qui le ramènent à l’ouvrage, est un peu inopportun..
La silhouette écartelée rappelant le fameux Homme de Vitruve est un petit clin d’œil espiègle à Leonardo di Vinci, presque homonyme du compositeur, tandis que le plateau tournant au rythme de la musique est parfois irritant et donne le tournis..
Les chants sont tous très beaux, les musiques semblent faciles et se retiennent comme des ritournelles. Quelques jours après, je me surprend à chantonner certains airs. Le chœur final, qui réunit tout le casting est un véritable bonheur et à cet instant, même après 4h de spectacle, j’espérais un bis…
Un délicieux moment enchanteur.
Addenda: Mon clin d’œil : L’aria pour soprano et orchestre « Conservati fedele » (K. 23, 1765) de Mozart reprend les répliques de Mandane /sœur d’Artaserse à la fin de la première scène, premier acte.