Ce jour, dans une file d’attente, deux jeunes femmes très jeunes cadres dynamiques, attendent aussi en devisant. Je n’étais pas à la Poste mais le temps d’attente était long. J’ai appris à utiliser ces temps-pour-rien, pour m’enraciner, « prendre mon pouls », respirer, capter la respiration du monde. Les deux filles papotaient tellement que insidieusement, je me surpris à les écouter, après les avoir entendues. Elles étaient en train de vitrioler une certaine Jocelyne qui n’aura pas besoin de se rhabiller jusqu’à l’hiver 2020.. L’une surenchérissant sur l’autre, elles semblaient ravies de cette entente sur cette infortunée Jocelyne, qui à les entendre, était une bien vilaine personne… Après ce quart d’heure que dura la diatribe, elles payèrent leur achats, très aimablement, et se quittèrent chaleureusement… Sur le chemin, je repensais à cet échange grinçant.
Qu’est-ce qui nous pousse à dire du mal de notre prochain ?
J’ai déjà écrit une chronique sur les mauvaises langues (1). Le sujet est manifestement sans fond.
Je ne suis pas angélique, je succombe parfois à l’exercice de jugement sans appel en l’absence du concerné, lorsque j’ai été touchée.
Pourquoi ?
Il semble que cela soit pour chercher des appuis, pour confirmer que le « méchant » c’est l’autre !
Si nous trouvons une autre personne qui a le même ressenti, c’est que nous sommes dans le vrai. Cela nous exonère de toute méchanceté. Selon Laurent Bègue, psychologue social, auteur de L’agression humaine, « 60 % des conversations d’adultes ont pour objet un absent. Et la plupart émettent un jugement ». Négatif, le plus souvent..
La médisance et moi
Lorsque je m’y adonne, j’ai l’impression que cela me soulage, me conforte et me rassure.. Mais ensuite, je suis très mal à l’aise. J’ai l’impression d’avoir perdu mon temps à récriminer, à ressasser. Je suis triste de n’avoir pas réagi sur l’instant en manifestant mon ressenti. Cela me fait souvent songer au conte des deux moines et la jeune fille… Je m’efforce de ne garder par devers moi aucun ressentiment et de régler le problème avec la personne concernée le plus possible (Même si parfois le courage me manque..).
Je ne rapporte jamais de cancans malveillants, je ne jalouse pas les autres, je ne divulgue rien de leur vie privée. Je fuis les langues acérées qui n’apportent que des émotions négatives et me vole de l’énergie. La critique- dans- le- dos n’est pas du tout constructive, au contraire. Au lieu de stigmatiser le comportement de Machin, il est plus responsable d’intervenir sur le moment afin de faire valoir notre point de vue ou notre désaccord. Cette façon de faire est moins énergétivore et ne provoque pas des aigreurs, frustrations ou autres humeurs bilieuses, en plus si néfastes pour notre santé.
Alors pourquoi nous adonnons-nous à la médisance ?
Il semble que l’amertume partagée crée du lien, un sentiment d’appartenance, de reconnaissance, un peu comme si nous entrions dans le club de ceux-qui-n’aime-pas -cet-abruti.
C’est aussi un important exutoire à une ou des frustrations que nous venons de subir : la médisance permet le relâcher la soupape de notre colère ou agressivité. Parfois, c’est aussi une occasion de rire.. jaune. Se moquer, ironiser sur telle ou tel, tourner en ridicule, qui ne l’a jamais fait en partageant une bonne partie de rigolade ? Je me surprends, avec mes amies, à railler le cadre éducatif qui s’habille comme un cultivateur (avec tout le respect que j’ai pour ces professionnels). Je sais, ce n’est pas charitable. Parfois, je me donne l’absolution en enveloppant mon mauvais penchant de médisante en m’assurant que j’agis pour le bien des autres afin qu’ils ne subissent pas le même déboire ou revers que moi.
Je me demande où se situe la frontière entre commérage et constat ! Dire de quelqu’un qu’il est mal éduqué parce qu’il vous claque la porte au nez, est-ce une roserie ? Un fait avéré ?
Pas médisante – j’essaie-, cependant, je « dumpe » encore – j’allais dire seulement- lorsqu’un comportement, une réaction, une action m’a frustrée, gênée, agacée, horripilée.
Qu’est-ce que le dumping ? Cet anglicisme crée par Lise Bourbeau (2) pour signifier le comportement qui consiste à déverser sa colère, son mécontentement sur une tierce personne. Par exemple, lorsque la collègue Cunégonde me tape sur les nerfs par sa conduite que je juge incorrecte, je raconte mes déboires à Domitille qui nourrit le même sentiment pour Cunégonde. Qu’en attends-je ? Oh ! Un acquiescement, être consolée, me faire donner raison ? Je suis bien consciente que personne n’en retire du bien –être. Au contraire ! Et ma relation avec Cunégonde n’est pas meilleure, mon problème n’est pas solutionné, j’ai gaché dix minutes.
Partager nos émotions avec nos ami(e)s est bienfaisant, les envahir et pomper leur énergies peut ruiner la relation.
Le partage de ce que l’on vit consiste à raconter, à se dire afin de trouver des solutions ou un changement pour remédier. J’y travaille et repense à l’histoire des deux moines et la jeune fille…
Et si j’utilisais ma petite propension à juger autrui ou dumper pour mieux me connaitre ? Cette attitude marque toujours une faille dans l’estime de soi, une non-acceptation d’un de nos comportements, manifeste un manque, signale un besoin non comblé.
Et si je tentais la biendisance ?
Non, cela ne veut pas dire que nous serions obligés de faire l’éloge hypocrite de cette cloche-qui-travaille-avec-vous, nous avons encore la faculté, même développée personnellement d’avoir des inimitiés, même si l’amour inconditionnel est le but d’une vie. Seulement mettre en avant les qualités, les réussites des autres, complimenter, ne pas pointer que les erreurs ou les dysfonctionnements. Lorsque j’anime un conseil de classe, je demande toujours à mes collègues de commencer par noter ce que l’élève réussit. Puis, me direz-vous, vient le fameux « mais »…
Je suis convaincue que l’entourage que nous avons, est celui dont nous avons besoin pour grandir, pour prendre conscience de nos besoins, nos faiblesses.
Lorsque j’ai la langue au bord des lèvres pour médire, je tente de m’arrêter net.
Je le note sur mon carnet si je n’ai pas le temps d’y réfléchir immédiatement. J’utilise la technique du « Pourquoi » des enfants de 3 ans.. Tous les parents connaissent.. L’essayer c’est l’adopter.
Iconographies: petit souvenir de Pouldreuzic de Nathalie RAGONDET
Pour aller plus loin: lire sur Métanoïa:La médisance: un fléau spirituel – Savez-vous vivre et laisser vivre (vos émotions)? (1) Langues de vipères chronique du 19 mai 2011 (2) Lise Bourbeau
la médisance est un terreau fertile,
la biendisance est une fleur fragile.
Depuis quelques jours je me demande pourquoi ce mot (biendisance) n’existe même pas dans la langue française.