Quelle est la langue des anges ? Laquelle est l’élue ? Naissons-nous avec une langue pré-programmée ? Cette question ne date pas d’hier. Ce que Robert Shattuck nommait «l’expérience interdite» fut menée dans les temps anciens.
Langue des anges ! Tant de Puissants souhaitaient savoir si leur langue était celle de Dieu
Hérodote rapporte dans ses «Histoires (2.9 )» que Psammetichus ou Psamtik, pharaon d’Egypte de 660 à 610 avant J.C. ordonna d’élever deux nouveau-nés sans exposition à la parole. Les premiers mots qu’ils prononcèrent furent «békos» qui comme tout le monde le sait veut dire «pain» en phrygien. Psamtik conclut que les Phrygiens étaient une nation plus ancienne que les Egyptiens.
Frédéric II de Hohenstaufen fut roi des Romains, de Germanie, d’Italie, de Sicile et de Jérusalem de 1220 à 1250. Il était très cultivé, parlait neuf langues : latin, grec, sicilien, arabe, normand, allemand, hébreu, yiddish et slave. Frédéric était féru de poésie, de mathématiques et de sciences naturelles – son ouvrage sur la fauconnerie était plus un précis d’anatomie des oiseaux. Fra Salimbene de Adam de Parme moine fransciscain dans un pamphlet XII scelera Friderici imperatoris raconte que Fréderic II voulut reproduire l’expérience interdite car il cherchait la langue originelle d’ Adam et Eve. Pas moins. Il confia des bébés – de deux à douze selon les sources – à des nourrices qui ne devaient en aucun cas leur parler, ces bébés seraient langés, baignés, nourris mais complétement en isolement, ni bercés, ni cajolés. Tous les bébés dépérirent et moururent. « Mais il a travaillé en vain, car les enfants ne pouvaient pas vivre sans clappings des mains et des gestes, et la joie de la physionomie et de flatteries » conclut le moine chroniqueur et voyageur. Une expérience bien ancienne, sans aucune éthique, très cruelle, apportant la preuve que les bébés ont besoin de communication pour survivre... Le lait, le sommeil et les soins d’hygiène ne suffisent pas. La communication est aussi un élément indispensable à la vie.
Jacques IV, roi d’Ecosse de 1488 à 1513, non embarrassé par les questions d’éthique scientifique, tenta lui aussi l’expérience interdite. Très instruit, Jacques aurait parlé couramment le gaélique d’Écosse, l’anglais, le gaélique d’Irlande, le latin, le français, l’allemand, l’italien, le flamand, l’espagnol et le danois. L’histoire prétend qu’élevés avec une nourrice muette, les enfants auraient parlé l’Hébreu..
Jalâluddin Muhammad Akbar, dirige l’Empire Moghol de 1556 jusqu’en 1605. Doté d’une étonnante ouverture d’esprit – musulman, il invita les représentants des grandes religions pour établir en 1581, une religion de la lumière, melting pot des religions qu’il espérait fédératrice – et d’une grande intelligence politique, et bien que quasiment illettré – il semblerait qu’il fut dyslexique ce qui pourrait expliquer ses grandes capacités mnésiques -, Akbar entreprend de profondes réformes administratives et culturelles. Amoureux des arts, il sera un grand mécène. Selon François CATROU (1708) dans l’ Histoire Générale de l’Empire du Mogol depuis sa fondation, il fit enfermer douze enfants avec des nourrices muettes. Le portier, lui aussi muet, reçut la mission de n’ouvrir à quiconque. Ces enfants furent amenés auprès de l’empereur lorsqu’ils eurent douze ans afin de les interroger et découvrir quelle langue ils parlaient. Nul besoin d’ interprétes, ces enfants ne purent prononcer aucun mot. Très sauvages, ils avaient cependant développés d’autres moyens de communication avec leurs nourrices.
La notion de période sensible dans les apprentissages
Parler de l’inné et de l’acquis sans parler de Victor de l’Aveyron est difficile. Cet enfant sauvage comme il est parfois nommé, fut attrappé en 1800, confié à un orphelinat, puis après avoir été sujet de la curiosité des scientifiques, à Madame Guérin jusqu’à sa mort en 1822. Le docteur Itard qui s’était donné la mission de la réinsersion sociale de Victor, considérera son incapacité à parler comme un échec. Docteur, ne culpabilisez pas ! Aujourd’hui, nous sommes sûrs qu’il existe des périodes sensibles où l’enfant est apte à l’apprentissage de telle ou telle compétence. C’est une période très transitoire. Maria Montessori, médecin anthropologue et pédagogue dont je partage les convictions, affirme :« Si l’enfant n’a pu obéir aux directives de sa période sensible, l’occasion d’une conquête naturelle est perdue, perdue à jamais».
Au début du siècle, on pensait que le bébé était comme une enveloppe vide, une tabula rasa, c’est-à-dire que tout devait être appris.
Or, les enfants ont une prédisposition pour apprendre une langue humaine, et ce peut être n’importe quelle langue qui sera parlée dans son environnement. Un nourrisson adopté à la naissance apprendra la langue de ses parents adoptifs et non celle de ses parents biologiques.
Ce qui est inné est nécessairement partagé par l’ensemble de toutes les langues humaines : Ce que Noam Chomsky alors assistant au Massachusetts Institute of Technology, a baptisé la grammaire universelle. A la naissance, les bébés perçoivent tous les phonèmes qui existent dans toutes les langues du monde, puis petit à petit, au contact de leur langue maternelle, ils oublient tous ceux qui ne leur servent pas.
Tous les bébés de la terre ont les capacités de prononcer tous les sons langagiers répertoriés.
L’ordre d’acquisition de ces sons est semblable pour tous
- Premier stade dit prélinguiste : vagissements, vocalises ou gazouillis (« a », « e » et « ou ») , lallations ou babillage (gree, cree, gru. ..) . Durant la deuxième étape de ce stade, le bébé nuancera ses productions sonores, en priorisant les sons de la langue -ou des langues- qu’il entend. Il les modifie aussi selon le contexte social. Par exemple, les sons qu’il produit avec son père seront différents des sons qu’il produit avec sa mère. Toutes les personnes qui approchent un bébé parle le motherese ou mamanais – en français – c’est à dire que nous modifions notre débit et notre prosodie: «oh le joooli petiittt piiied !».
Nous pratiquons aussi le turn-taking, ces échanges sur le mode «areuh» permettent à l’enfant d’acquérir des compétences communicationnelles.
Après quelques mois, le bébé perd peu à peu la capacité de distinguer les sons étrangers des sons de sa propre langue
Il commence à se créer des classes de sons propres à sa langue, il assimile les sons des autres langues dans ces classes, l’enfant peut apprendre à prononcer les mots d’une autre langue sans accent étranger jusqu’à l’âge d’environ 8 ans.
- Durant le stade holophrastique de 18 mois à 24 mois, l’enfant s’exprime par mots isolés, les mots-phrases.
- Le stade syntaxique de 2 à 5 ans est la période où s’acquiert la syntaxe.
- Le stade avancé vers 5 ans et plus est la période où l’enfant acquiert les fonctions les plus fines du langage. Il apprendra les formes passives, les inversions verbales, bref le Bled..
Le mot de la fin à Françoise Dolto «Tout est langage». Mais la langue des anges n’existe pas.
Addenda : Puis-je recommander deux films ? « L‘enfant sauvage » de Truffaut et « Jodhaa Akbar » qui raconte l’histoire de l’empereur Moghol Akbar, certes en prenant quelques distances avec l’histoire, mais l’esprit de l’empire Moghol de Akbar est bien rendu, les acteurs sont beaux et talentueux, les décors superbes.
Source: link – Hérodote Livre 2