De par mon métier, j’ai aidé à de multiples venues au monde, des moments extrêmement émouvants qui ne laissent jamais indifférent, même avec le temps et vous changent. Un nouveau-né fait une rencontre spectaculaire avec le monde, c’est un fait. Autant vous dire que lorsque j’ai découvert les photographies Les cinq premières minutes d’un bébé de Eve Arnold, j’ai à la fois adoré et pleuré.
Evolution de l’art de naître
Le lieu où la femme accouche et où naît son enfant est bien plus qu’un simple espace de soins. Pendant des millénaires, la femme accoucha à la maison : au XVIe et XVIIe siècles, dans la salle commune ou l’étable selon sa condition -, assistée d’une matrone plus ou moins compétente. Madame du Coudray, sage-femme à l’Hotel-Dieu, organisa des cours itinérants dans toute la France de 1759 à 1783 afin d’assurer la formation de vraies sages-femmes. L’accompagnement des femmes en travail sera plus sûr mais hélas, ces sages-femmes perdent en humanité ce qu’elles ont gagné en savoirs : Elles sont plus insensibles à la douleur des parturientes. Et, le nouveau-né a peu d’importance, la mortalité infantile étant si élevée – ainsi que la mortalité maternelle -, qu’il était recommandé de ne pas s’attacher. Les cinq premières minutes d’un bébé ? Ce n’est absolument pas la préoccupations.
Vers le XVIIIème siècle, les princesses et toutes les dames de qualité choisirent de confier leur accouchement aux médecins : L’entrée de l’accoucheur dans ce monde traditionnellement réservé aux femmes transforme les pratiques de la naissance.
À partir de 1803, la formation des sages-femmes s’améliore grâce en particuliers à Marie-Louise Lachapelle, sage-femme chef à port-Royal ; cependant, seules les pauvresses et les filles mères leur sont confiées.
En France, comme ailleurs, c’est dans les années 1920-30 que la naissance a lieu en milieu aseptisée et médicalisée où tout n’est pas rose : L’accouchement se déroule la plupart du temps dans une totale solitude, car les mères, amies, maris sont systématiquement refoulés au nom des sacro-saintes règles de l’hygiène. L’accouchement reste vécu comme une épreuve initiatique qu’il faut surmonter pour être vraiment mère. « Tu enfanteras dans la souffrance » ! Les femmes qui en ont les moyens préfèrent accoucher à domicile, même dans les grandes villes.
Dans les années 1950, en France, le docteur Fernand Lamaze (1890-1957), accoucheur à Paris à la polyclinique des métallurgistes (rue des Bluets), révolutionne l’obstétrique avec sa méthode d’accouchement “sans douleur », inspirée des recherches de médecins soviétiques, disciples de Pavlov. Le père fait son entrée dans les salles de naissances : il assiste à l’accouchement, il rassure la parturiente, mais aussi il lui est demandé un certain nombre de gestes très symboliques, comme couper le cordon ou baigner le nouveau-né, pour arriver enfin à la « naissance sans violence », initiée par Frédérick Leboyer à partir des années 1970, avec un accueil beaucoup plus doux et bienveillant : il était temps ! Nous remercions aussi le docteur This, Françoise Dolto et bien d’autres qui participèrent pour ne pas dire provoquer les changements. Les cinq premières minutes de vie d’un bébé sont fondamentales pour sa vie entière : Toutes les études s’accordent sur l’importance des premiers contact, des premiers peau à peau, des premiers échanges de regards, de la tétée précoce…
Cinq minutes de vie d’un bébé en 1959
En 1959, nous n’en étions pas là. Il s’agissait d’un accueil très médicalisé, très froid, très agité… sans chaleur. On s’empresse à couper le cordon ombilical, d’aspirer les mucosités, soumettre le nouveau-né à une batterie de tests et d’examens, de mesures, qui pourraient fort bien attendre… le clou étant la mise en isolette, qui porte si bien son nom.
«La cordon est coupé, écrit-elle, l’enfant est giflé … étiqueté … empreint … pesé … lavé … oint … mesuré … emmailloté.»
Dans les années 1950, Ève fait une fausse couche qui se termine par une hystérectomie. Elle sombre dans une profonde dépression, qu’elle a cherché à combattre dans une étude approfondie de la mécanique de la naissance à Long Island Mather Hospital. Elle a passé bon nombre de mois à observer et à photographier des mères en couches ou juste après. Ce qui a donné lieu à un essai pour Life Magazine détaillant la dureté avec laquelle un bébé fait son entrée dans le monde.
Ce bébé est le troisième enfant de Ruth et Georges Wood de Centereach, Long Island, NY.
A trois minutes, Steven est devenu rose. Ses poumons deviennent fonctionnels, il crie. Suspendu par les pieds, la nurse le mesure. L’entrée dans ce monde aérien agressif est brillamment représenté par ce cliché d’une infirmière mesurant le nouveau-né.
«Je suis pauvre et je voulais documenter la pauvreté; J’avais perdu un enfant et je suis obsédée par la naissance; Je me suis intéressé à la politique et je voulais savoir comment elle affecte notre vie; Je suis une femme et je voulais savoir au sujet des femmes ».
Steven enfin, dans son berceau, couvé par les regards de sa mère. Quelle aventure !
Sources : LIFE 16 nov. 1959