L’agrumiculture bio française représente 2% des surfaces bio fruitières, et elle se concentre en Corse. L’île de Beauté est un terroir qui s’y prête car les hivers sont assez froids et les insectes ravageurs sont rares ce qui dispensent de traiter. A San Guiliano, l’INRA s’est consacrée à l’agrumiculture et à l’adaptation de fruitiers exotiques, depuis 1965. 1200 variétés d’agrumes poussent en toute quiétude : clémentiers, limettiers, mandariniers, orangers, citronniers, bergamotier, Citrus australasica et son citron caviar, pamplemoussiers, cédratiers.. Depuis 1980, 18 producteurs certifiés bio cultivent 134 hectares de vergers.
Les agrumes, fruits chouchous de l’hiver pour booster l’immunité
Les agrumes sont regroupés en quatre groupes : Les oranges, les petits agrumes (clémentines, mandarines, kumquats..) les citrons et les limes, les pomelos ( appelés pamplemousses). Leur culture nécessite de grands écarts de températures, parce que la concentration en sucres, la diminution de l’acidité et aussi l’apparition de la couleur se produisent grâce à ces grandes variations.
L’alternance de journées ensoleillées et de nuits fraîches crée une répétition de chocs thermiques qui dégradent la chlorophylle de l’écorce en pigments jaunes ou rouges et révèlent la couleur typique de chaque variété.
La technologie permet d’activer ce mûrissement et de cueillir les fruits encore vert. Quel est ce procédé ? L’atmosphère d’éthylène. Est-ce dangereux ? Non, le cahier des charges bio l’autorise aussi, mais les producteurs qui tiennent au mûrissement naturel n’y ont pas recours. D’où le « cul-vert » de certains agrumes, dont les clémentines corses ( une clémentine verte peut donc être parfaitement mûre).
Ce sont les fruits les plus traités après le raisin et les fruits rouges ! Des résidus de pesticides sont retrouvés dans 75% des échantillons européens. (1) Parmi les substances autorisées en France, nous retrouvons le trop tristement célèbre glyphosate, le fosetyl aluminium (foncicide), le lambda cyhalotryne (insecticide). A l’étranger, les agrumes vont faire trempette dans des bains fongicides pour augmenter leur conservation. La mention « Non traité chimiquement après la récolte » si rassurante, ne l’est pas tant que cela car si les traitements de conservation sont interdits, rien ne prouve qu’avant…
La cire est utilisée pour obstruer les pores de l’écorce et améliorer l’aspect et la conservation des fruits. En Corse, elle est à base de produits naturels : le carnauba et seulement pour le non-bio.
Le biphényl-2, l’Imazalil sont des fongicides utilisés comme conservateurs. Bien sûr, la peau fait barrière mais elle n’est pas infranchissable. Une partie des produits la traversent. Certains sont appliqués pendant le foliation, d’autres sont véhiculés par la sève et se retrouvent dans le fruit. C’est pourquoi, la période de conversion en bio demande trois ans car les arbres et fructifications peuvent contenir des résidus chimiques pendant les deux à trois ans qui suivent leurs utilisations.
L’histoire de la clémentine du Père Clément
Je raffole des clémentines de Corse aux verts feuillages. Madeleine de Proust de l’odeur envoûtante des orangers dont je me suis enivrée lors des fins d’été Corse ? Elle bénéficie de l’IGP (indication géographique protégée) mais seuls 40 hectares sur les 1200 sont bio.
Pépins or not pépins ? J’hésite souvent. Est-ce la clémentine ou la mandarine ? Oui, bien sûr, c’est la clémentine, le fruit du Père Clément (vous noterez que les moines sont de grands découvreurs en génétique ! Souvenons-nous de Gregor Mendel et ses pois de senteurs).
La France avait plus qu’un pied en Algérie. En 1849, Le Père Louis-Théodore Abram responsable l’Institut des Frères de Notre-Dame de l’Annonciation, l’installa à Misserghin, près d’Oran où il avait acquis quelques hectares. Il souhaitait y créer un orphelinat franco-algérien. Le travail des moines transforma ces lopins de terre en une grande exploitation agricole.
Le Père Clément- Vital Rodier – de santé trop fragile pour supporter les exigences de la vie des Chartreux, vint rejoindre un de ses oncles qui y était religieux. Chef planteur, esprit curieux et féru de botanique, il y vécut de 1839 jusqu’à sa mort en 1904. Il planta, il écussonna, enta, transplanta, sema…Partageant sa vie entre les enfants et la botanique, la légende veut qu’il greffa un mandarinier sur un bigaradier. Un jour, des pupilles de l’orphelinat ramassèrent des petits fruits sous un arbre au milieu de mandariniers et bigaradiers, encore verts. Le père Clément en goûta un. Ce n’était pas une mandarine. Plus pulpeuse, plus douce, plus sucrée et… sans pépins.
D’après le docteur Louis Trabut, professeur à l’école de médecine d’Alger, président de la Société d’horticulture qui visita souvent les innombrables expérimentations du Frère, celui-ci aurait créé accidentellement un hybride de mandarinier et de bigaradier à feuilles de saules ou granito.
Ceci se passe en 1900. Ce délicieux fruit fut appelé la mandarinette. Avant que les botanistes prennent conscience de l’intérêt de ce nouvel agrume, la parcelle d’origine était arrachée.
Les premières descriptions du clémentinier sont dues au docteur Louis Charles Trabut (1853-1929) qui les publia en 1902 dans le numéro 10 de la Revue horticole française. Et les plantations de clémentines dépassèrent les frontières d’Algérie. Chine, au Brésil, en Argentine, au Mexique en Thaïlande, en Corée du Sud, aux Etats-Unis… et sur le pourtour de la Méditerranée.
Le tout premier clémentinier commun en Corse fut planté en 1925 par M. Don Philippe Semidei à Figaretto, sur la plaine orientale de l’île
Alors pourquoi n’a-elle pas de pépins, cette clémentine du Père Clément ?
Le clémentinier est un hybride naturel qui a le pouvoir de faire des fruits sans être pollinisé. Il est aussi auto-incompatible car sa fleur ne peut être fécondée par son pollen. Dans un verger uniquement constitué de clémentiniers, nous n’obtiendrons donc que des clémentines sans pépin c’est-à-dire sans graines. En revanche, si le verger de clémentiniers est proche d’un verger de citronniers ou de mandariniers, alors le pollen de ces variétés peut féconder les fleurs de clémentiniers et les clémentines obtenues seront pourvues de pépins. Tous les clémentiniers communs sont donc issus, par greffages successifs, de l’arbre originel du père Clément, ses clones.
Pourquoi préféré-je la clémentine corse à l’espagnole ?
Pour son goût au bel équilibre sucré-acidulé. « En Espagne, les producteurs ont recours à une chambre froide pour ‘déverdir’ le fruit ainsi qu’à des traitements après récolte, comme des cires végétales ou des fongicides -ce qui explique une plus longue conservation de ce produit », éclaire Franck Curk ingénieur agronome et l’IGP Clémentine de Corse interdit ces pratiques.
Suprême confidence pour gourmands cossards partagée par Franck Curk : Coupez la clémentine en deux et mettez les moitiés au congélateur. Vous obtiendrez un étonnant dessert à manger à la petite cuillère ! J’aime aussi la très healthy Soupe de carotte épicée à la clémentine de Corse , mais sans la pomme de terre.
Iconographies : Couverture de l’Histoire Naturelles des Orangers (1) écrite par Risso et richement illustrée par Poiteau- Une vue (l’église ?) de l’orphelinat de Misserghin
Sources:« Manger bio, c’est mieux » de l’agronome Claude Aubert. la clémentine de Corse– Laboratoires BAYER- INRS – frigomagique