Denis Diderot est à l’honneur à l’occasion du tricentenaire de sa naissance, le 5 octobre 1713, à Langres en Haute-Marne. Philosophe, romancier, dramaturge et encyclopédiste, Diderot est une figure majeure du siècle des Lumières. Il incarne la liberté de parler et d’écrire, liberté des idées et des mœurs, qui n’exclut ni la tendresse, ni l’amour.
Je suis une fidèle auditrice l’émission « Passion classique » d’Olivier Bellamy qui recevait un autre Delon, cestuy-là qui est professeur émérite à la Sorbonne, Michel.Passionnante émission, celui-ci étant un érudit extraordinaire et captivant. Il vient de faire paraître « Diderot, cul-par-dessus tête » et m’a donné une folle envie de replonger dans l’œuvre de Diderot.
Denis Diderot ne réalise pas le dessein de son père
Son père le destinait à la prêtrise. Il lui fit faire ses études chez les Jésuites. Et lorsqu’il « monte » à Paris pour les poursuivre au collège d’Harcourt, vers 1728, il découvre un autre monde ! La littérature, le théâtre, les comédiennes, la musique dont il devint aussi un expert car il s’intéressera à la physique des sons.. Paris n’est pas Langres, sans aucun doute !
Très vite, il réalise que ce projet paternel ne peut constituer son avenir. Ce qu’il désire par-dessus tout, c’est apprendre, tout savoir et tout connaître. Il va mener une vie de bohème durant une quinzaine d’années.
Denis Diderot, un érudit peu orthodoxe
Il étudie les langues anciennes- « Il pensait souvent en latin » écrit Michel Delon, en deuxième page de son hymne à l’encyclopédiste- l’anglais et les mathématiques. Il consacra aussi une partie de son existence à la traduction d’ouvrages de langue anglaise comme l’Histoire de la Grèce, de Temple Stanyan et l’Essai « Recherches sur la vertu ou le mérite sur le mérite et la vertu » de Shaftesbury. Ses premiers écrits personnels « les pensées philosophiques » feront l’effet d’une bombe car il y attaque à la fois l’athéisme et le christianisme classique. Ce recueil d’aphorismes sera publié anonymement car il se doutait que ses propos étaient sulfureux.
Diderot ne croit pas que Dieu a créé le monde : il pense que celui-ci est le résultat d’heureux hasard (mais Einstein n’a –t-il pas dit que le hasard, c’était Dieu qui se présentait incognito ?) Il critique vertement et avec audace, l’intolérance des religions ( je dirais plutôt des religieux ).
Denis Diderot a besoin de protecteurs
Cette publication en 1749 lui vaut d’être emprisonné. Par une lettre de cachet – il fut probablement dénoncé par son logeur : en 1749, il habite au 2e étage du 3 de la rue de l’Estrapade- Diderot est arrêté et emmené au château de Vincennes. Cet emprisonnement le choque beaucoup, lui si épris de liberté. Il se sent réduit à rien. Il promet au lieutenant de Paris, de ne plus rien publier- Ce qu’il fit – mais pas de ne plus écrire, ni penser, visiblement et heureusement. Cependant, il écrit pour une gazette Correspondance littéraire philosophique et critique(1)(2), périodique très confidentiel et manuscrit adressé aux grands de ce monde : une quinzaine d’abonnés dont la grande Catherine II de Russie – son ange gardien (3)-, Fréderic II roi de Prusse et Louise-Ulrike, sa sœur, reine de Suède, le roi de Pologne, la princesse de Nassau-Saarbruck – à qui il dédicacera Le père de famille en 1760 (4). Il profite de sa complicité avec ces hauts personnages qu’il prend à témoin de ses idées, pour échapper à la censure.
Rencontre avec d’Alembert et l’Encyclopédie
L’approche du mathématicien d’Alembert change le cours de sa vie en 1746. Il le recrute pour le projet de sa grande Encyclopédie à laquelle il consacrera plus de vingt ans. A l’origine, elle devait être une traduction de la Cyclopædia d’Ephraïm Chambers.
Il souhaitait véhiculer l’esprit du siècle des Lumières : Pas de hiérarchie entre philosophie, le savoir-faire des artisans, histoire naturelle, l’anatomie, la médecine, l’art de l’habillement… donnés à lire et à regarder. Imaginons que, sans les moyens dont nous bénéficions,- internet, encyclopédies, dictionnaires- le défi était phénoménal et l’effort titanesque afin de réunir tous les savoirs et savoir-faire de son époque et rendre la connaissance accessible à tous.
«Un plaisir qui n’est que pour moi me touche faiblement et dure peu. C’est pour moi et pour mes amis que je lis, que je réfléchis, que j’écris, que je médite, que j’entends, que je sens… Je songe sans cesse à leur bonheur.» Véritable humaniste, il lutta contre l’intolérance et le fanatisme.
Diderot préfère la certitude expérimentale à l’évidence cartésienne. Il s’intéresse moins aux concepts qu’à la démarche. « Ce qui compte, explique-t-il, n’est pas de convaincre le lecteur mais qu’il comprenne son cheminement de pensées afin qu’il se fasse sa propre idée.»
Passions et vertus chez Diderot
Il réhabilite les passions en insistant sur l’harmonie afin que le plaisir de l’un n’empiète pas sur le plaisir de l’autre. Le corps est un thème privilégié sur lequel il fait reposer le fondement de sa morale.Plaisir et vertu sont indissociables. Ainsi la vertu n’est pas austère, elle doit procurer du plaisir ou alors elle ne sert à rien. Il renie la notion de péché. Diderot incarne la liberté de vivre, de pensée, de parler qui s’exerce avec style, le libertinage. Est libertin, celui qui profite de la vie dans tous ses plaisirs.
Planches des Encyclopédies
Diderot et les femmes
Il écrira qu’il a trop aimé les femmes. Il épousa clandestinement Anne-Antoinette Champion en 1743 dont il eut une fille Marie-Angélique. Même s’il délaissa rapidement l’épouse, trop loin de ses considérations philosophiques, il veilla à assurer ses besoins. Il préfère les femmes qui lui procurent une grande créativité. C’est J.J. Rousseau lui fit rencontrer Sophie Volland en 1755,. Elle sera son amante pour la vie, elle fut aussi son premier critique. En réalité, elle se prénommait Louise-Henriette, et certainement que le choix de ce prénom, la transcription de « la sagesse » en grec n’est pas anodin, plaçant ainsi leur relation sur un autre niveau. Les très nombreuses lettres de Diderot à Sophie donnent des indications sur sa vie, ses informations et ses réflexions sur la politique, la vie artistique, ses critiques d’art et intellectuelles de son temps.(5) Toutefois, aucune missive de la belle ne nous est parvenue, ni même un portrait. Jeanne-Catherine Quinault, dite Madame de Maux, occupa aussi une place importante dans sa vie, dès 1769 : Diderot lui adressera ses plus belles lettres philosophiques.
Michel Delon, spécialiste de l’époque des lumières, nous propose de cheminer avec Diderot, qu’il connait bien et affectionne. C’est un Diderot intemporel concentré en un volume que l’auteur nous offre à redécouvrir. Diderot lui-même ayant « toujours recommandé la marche comme entraînement de la pensée » – la marche en pleine conscience, je présume- cheminons avec lui.
Diderot cul par dessus tête de Michel Delon, un ouvrage de référence
Iconographies : En Une : Jean-Louis Ernest Meissonier, Lecture chez Diderot – Denis Diderot par Louis-Michel van Loo, 1767 (Musée du Louvre)- Jean Le Rond d’Alembert-. Encyclopedies- Proportions de la statue d’Antinoüs (Encyclopédie, t20, Dessein, pl. 34)- Expression des passions. L’admiration (Encyclopédie, t20, Dessein, pl. 24)– Alphabet japonois- couvertures de volumes
SOURCES: (1) En 1753, il cède la main à Grimm qui lui donnera son titre de Correspondance littéraire, philosophique et critique. À partir de 1759, ce dernier déléguera une partie de sa charge à Diderot. Jacques-Henri Meister sera le dernier directeur de la revue.(2)Correspondances littéraires (3) Dès 1761, Diderot pense à vendre sa bibliothèque pour doter correctement sa fille − qui n’a alors que 8 ans. Catherine II intervient et achète le bien. Non seulement elle l’achète « en viager » pour permettre au philosophe d’en garder l’usage jusqu’à sa mort mais en plus elle le nomme bibliothécaire de ce fond et le rétribue en tant que tel. (4) Le père de famille (5) accéder à toutes les planches (6) Lettres à Sophie Volland